Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/518

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
508
LES FEMMES SAVANTES.

Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ;
Vous, aux productions d’esprit et de lumière ;
Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.

Armande.
Quand sur une personne on prétend se régler,
C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler[1],
Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle,
Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle[2] !

Henriette.
Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,
Si ma mère n’eût eu que de ces beaux côtés ;
Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie
N’ait pas vaqué toujours à la philosophie.
De grace souffrez-moi par un peu de bonté
Des bassesses à qui vous devez la clarté ;
Et ne supprimez point, voulant qu’on vous seconde,
Quelque petit savant qui veut venir au monde.

Armande.
Je vois que votre esprit ne peut être guéri
Du fol entêtement de vous faire un mari :
Mais sachons, s’il vous plaît, qui vous songez à prendre ?
Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre.

Henriette.
Et par quelle raison n’y seroit-elle pas ?
Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ?

Armande.
Non ; mais c’est un dessein qui seroit malhonnête,
Que de vouloir d’une autre enlever la conquête ;
Et ce n’est pas un fait dans le monde ignoré,
Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré.

Henriette.
Oui ; mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,
Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ;
Votre esprit à l’hymen renonce pour toujours,
Et la philosophie a toutes vos amours.

  1. Ces deux vers, reproduits dans toutes les éditions, ont été rarrangés par Boileau. Voici la première réaction telle qu’elle avait été faite par Molière :
    Quand sur une personne on prétend s’ajuster,
    C’est par les beaux côtés qu’il la faut imiter.
  2. Molière ne fait ici que mettre en vers une locution proverbiale fort en usage de son temps.