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LA COMTESSE D’ESCARBAGNAS

commoder aux pensées qui leur peuvent venir. Cependant je serai bien aise que vous me donniez ces vers par écrit.

Le Vicomte.

C’est assez de vous les avoir dits, et je dois en demeurer là. Il est permis d’être parfois assez fou pour faire des vers, mais non pour vouloir qu’ils soient vus.

Julie.

C’est en vain que vous vous retranchez sur une fausse modestie ; on sait dans le monde que vous avez de l’esprit ; et je ne vois pas la raison qui vous oblige à cacher les vôtres.

Le Vicomte.

Mon Dieu ! madame, marchons là-dessus, s’il vous plaît, avec beaucoup de retenue ; il est dangereux dans le monde de se mêler d’avoir de l’esprit. Il y a là dedans un certain ridicule qu’il est facile d’attraper, et nous avons de nos amis qui me font craindre leur exemple.

Julie.

Mon Dieu ! Cléante, vous avez beau dire, je vois avec tout cela que vous mourez d’envie de me les donner ; et je vous embarrasserois si je faisois semblant de ne m’en pas soucier.

Le Vicomte.

Moi, Madame ? vous vous moquez, et je ne suis pas si poëte que vous pourriez bien croire, pour… Mais voici votre madame la comtesse d’Escarbagnas. Je sors par l’autre porte pour ne la point trouver, et vais disposer tout mon monde au divertissement que je vous ai promis.


Scène II.

La Comtesse, Julie, Andrée ; et Criquet, dans le fond du théâtre
La Comtesse.

Ah, mon Dieu ! madame, vous voilà toute seule ? Quelle pitié est-ce là ? Toute seule ! Il me semble que mes gens m’avoient dit que le vicomte étoit ici.

Julie.

Il est vrai qu’il y est venu ; mais c’est assez pour lui de savoir que vous n’y étiez pas pour l’obliger à sortir.

La Comtesse.

Comment ! il vous a vue ?

Julie.

Oui, madame.