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LA COMTESSE D’ESCARBAGNAS

de la rendre agréable, et faire qu’elle soit plus aisément reçue.

Le Vicomte.

C’est là, belle Julie, la véritable cause de mon retardement ; et, si je voulais y donner une excuse galante, je n’aurais qu’à vous dire que le rendez-vous que vous voulez prendre peut autoriser la paresse dont vous me querellez ; que m’engager à faire l’amant de la maîtresse du logis, c’est me mettre en état de craindre de me trouver ici le premier ; que cette feinte où je me force n’étant que pour vous plaire, j’ai lieu de ne vouloir en souffrir la contrainte que devant les yeux qui s’en divertissent ; que j’évite le tête-à-tête avec cette comtesse ridicule dont vous m’embarrassez ; et, en un mot, que ne venant ici que pour vous, j’ai toutes les raisons du monde d’attendre que vous y soyez.

Julie.

Nous savons bien que vous ne manquerez jamais d’esprit pour donner de belles couleurs aux fautes que vous pourrez faire. Cependant, si vous étiez venu une demi-heure plus tôt, nous aurions profité de tous ces moments ; car j’ai trouvé en arrivant que la comtesse étoit sortie, et je ne doute point qu’elle ne soit allée par la ville se faire honneur de la comédie que vous me donnez sous son nom.

Le Vicomte.

Mais tout de bon, madame, quand voulez-vous mettre fin à cette contrainte, et me faire moins acheter le bonheur de vous voir ?

Julie.

Quand nos parents pourront être d’accord ; ce que je n’ose espérer. Vous savez, comme moi, que les démêlés de nos deux familles ne nous permettent point de nous voir autre part, et que mes frères, non plus que votre père, ne sont pas assez raisonnables pour souffrir notre attachement.

Le Vicomte.

Mais pourquoi ne pas mieux jouir du rendez-vous que leur inimitié nous laisse, et me contraindre à perdre en une sotte feinte les moments que j’ai près de vous ?

Julie.

Pour mieux cacher notre amour ; et puis, à vous dire la vérité, cette feinte dont vous parlez m’est une comédie fort agréable ; et je ne sais si celle que vous nous donnez au-