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Acte III, scène III.

je l’ai trouvé, c’est ce ladre-là que je dis. Pour venir à notre conte, nos gens ont voulu aujourd’hui partir de cette ville ; et mon amant m’alloit perdre, faute d’argent, si, pour en tirer de son père, il n’avoit trouvé du secours dans l’industrie d’un serviteur qu’il a. Pour le nom du serviteur, je le sais à merveille. Il s’appelle Scapin ; c’est un homme incomparable, et il mérite toutes les louanges qu’on peut donner.

Géronte, à part.

Ah ! coquin que tu es !

Zerbinette.

Voici le stratagème dont il s’est servi pour attraper sa dupe. Ah, ah, ah, ah. Je ne saurois m’en souvenir, que je ne rie de tout mon cœur. Ah, ah, ah. Il est allé trouver ce chien d’avare… ah, ah ah ; et lui a dit, qu’en se promenant sur le port avec son fils, hi, hi, ils avoient vu une galère turque où on les avait invités d’entrer ; qu’un jeune Turc leur y avoit donné la collation, ah ; que, tandis qu’ils mangeoient, on avoit mis la galère en mer ; et que le Turc l’avoit renvoyé lui seul à terre dans un esquif, avec ordre de dire au père de son maître qu’il emmenoit son fils en Alger, s’il ne lui envoyait tout à l’heure cinq cents écus. Ah, ah, ah. Voilà mon ladre, mon vilain dans de furieuses angoisses ; et la tendresse qu’il a pour son fils fait un combat étrange avec son avarice. Cinq cents écus qu’on lui demande sont justement cinq cents coups de poignard qu’on lui donne. Ah, ah, ah. Il ne peut se résoudre à tirer cette somme de ses entrailles ; et la peine qu’il souffre lui fait trouver cent moyens ridicules pour ravoir son fils. Ah, ah, ah ! Il veut envoyer la justice en mer après la galère du Turc. Ah, ah, ah ! Il sollicite son valet de s’aller offrir à tenir la place de son fils, jusqu’à ce qu’il ait amassé l’argent qu’il n’a pas envie de donner. Ah, ah, ah. Il abandonne, pour faire les cinq cents écus, quatre ou cinq vieux habits qui n’en valent pas trente. Ah, ah, ah. Le valet lui fait comprendre à tous coups l’impertinence de ses propositions ; et chaque réflexion est douloureusement accompagnée d’un : Mais que diable alloit-il faire à cette galère ? Ah ! maudite galère ! Traître de Turc ! Enfin, après plusieurs détours, après avoir longtemps gémi et soupiré… Mais il me semble que vous ne riez point de mon conte ; qu’en dites-vous ?