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Acte III, scène I.

Scapin.

Vous vous moquez ! la tranquillité en amour est un calme désagréable. Un bonheur tout uni nous devient ennuyeux ; il faut du haut et du bas dans la vie ; et les difficultés qui se mêlent aux choses réveillent les ardeurs, augmentent les plaisirs.

Zerbinette.

Mon Dieu, Scapin, fais-nous un peu ce récit, qu’on m’a dit qui est si plaisant, du stratagème dont tu t’es avisé pour tirer de l’argent de ton vieillard avare. Tu sais qu’on ne perd point sa peine lorsqu’on me fait un conte, et que je le paye assez bien par la joie qu’on m’y voit prendre.

Scapin.

Voilà Sylvestre, qui s’en acquittera aussi bien que moi. J’ai dans la tête certaine petite vengeance dont je vais goûter le plaisir.

Sylvestre.

Pourquoi, de gaieté de cœur, veux-tu chercher à t’attirer de méchantes affaires ?

Scapin.

Je me plais à tenter des entreprises hasardeuses.

Sylvestre.

Je te l’ai déjà dit, tu quitterois le dessein que tu as, si tu m’en voulois croire.

Scapin.

Oui ; mais c’est moi que j’en croirai.

Sylvestre.

À quoi diable te vas-tu amuser ?

Scapin.

De quoi diable te mets-tu en peine ?

Sylvestre.

C’est que je vois que, sans nécessité, tu vas courir risque de t’attirer une venue de coups de bâton[1].

Scapin.

Hé bien ! c’est aux dépens de mon dos, et non pas du tien.

Sylvestre.

Il est vrai que tu es maître de tes épaules, et tu en disposeras comme il te plaira.

  1. Venue, dans le sens de récolte, bonne récolte, parce que le grain de l’année est bien venu. Nicot, au mot Venir, donne pour exemple : « Grande venue de brebis et abondante, bonus proventus. »
    (F. Génin.)