Bonjour, Scapin.
Vous rêvez à l’affaire de votre fils ?
Je t’avoue que cela me donne un furieux chagrin.
Monsieur, la vie est mêlée de traverses ; il est bon de s’y tenir sans cesse préparé, et j’ai ouï dire, il y a longtemps, une parole d’un ancien que j’ai toujours retenue.
Quoi ?
Que, pour peu qu’un père de famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâcheux accidents que son retour peut rencontrer, se figurer sa maison brûlée, son argent dérobé, sa femme morte, son fils estropié, sa fille subornée ; et ce qu’il trouve qui ne lui est point arrivé, l’imputer à bonne fortune. Pour moi, j’ai pratiqué toujours cette leçon dans ma petite philosophie ; et je ne suis jamais revenu au logis, que je ne me sois tenu prêt à la colère de mes maîtres, aux réprimandes, aux injures, aux coups de pied au cul, aux bastonnades, aux étrivières ; et ce qui a manqué à m’arriver, j’en ai rendu grâce à mon bon destin[1].
Voilà qui est bien. Mais ce mariage impertinent qui trouble celui que nous voulons faire est une chose que je
- ↑ Dans Térence, Démiphon cherche à se consoler de son malheur par ce tableau philosophique :
« Un père de famille, qui revient de voyage, devrait s’attendre à trouver son fils dérangé, sa femme morte, sa fille malade ; se dire que ces accidents sont communs, qu’ils ont pu lui arriver. Avec cette prévoyance, rien ne l’étonnerait. Les malheurs dont il serait exempt contre son attente, il les regarderait comme autant de gagné. »
Et Géta, parodiant le discours du vieillard, dit :
« J’ai déjà passé en revue toutes les infortunes dont je suis menacé. Au retour de mon maître, me suis-je dit, on m’enverra, pour le reste des mes jours, tourner la meule du moulin ; je recevrai les étrivières ; je serai chargé de chaînes ; je serai condamné à travailler aux champs. Aucun de ces malheurs ne m’étonnera. Ceux dont je serai exempt contre mon attente, je les regarderai comme autant de gagné. »
(Petitot.)