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Acte I, scène II.

main. Laissez-le-moi finir en deux mots[1]. (À Scapin.) Son cœur prend feu dès ce moment : il ne sauroit plus vivre, qu’il n’aille consoler son aimable affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante, devenue la gouvernante par le trépas de la mère. Voilà mon homme au désespoir ; il presse, supplie, conjure : point d’affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien et sans appui, est de famille honnête, et qu’à moins que de l’épouser, on ne peut souffrir ses poursuites. Voilà son amour augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution : le voilà marié avec elle depuis trois jours.

Scapin.

J’entends.

Sylvestre.

Maintenant, mets avec cela le retour imprévu du père, qu’on n’attendoit que dans deux mois ; la découverte que l’oncle a faite du secret de notre mariage, et l’autre mariage qu’on veut faire de lui avec la fille que le seigneur Géronte a eue d’une seconde femme qu’on dit qu’il a épousée à Tarente.

Octave.

Et par-dessus tout cela, mets encore l’indigence où se trouve cette aimable personne, et l’impuissance où je me vois d’avoir de quoi la secourir.

Scapin.

Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle ! C’est bien là de quoi se tant alarmer ! N’as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable ! te voilà grand et gros comme père et mère, et tu ne saurois trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ! Fi ! peste soit du butor ! Je voudrais bien que l’on m’eût donné autrefois nos vieillards à duper ; je les aurois joués tous deux par-dessous la jambe ; et je n’étois pas plus grand que cela, que je me signalois déjà par cent tours d’adresse jolis.

  1. Ce trait est emprunté à Rotrou, dans la Sœur. Comme ici le valet dit au maître :

    Si de ce long récit vous n’abréger le cours,
    Le jour achèvera plus tôt que ce discours.
    Laissez-moi le finir avec une parole.