Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(Faisant encore la révérence.) avec votre permission, je ne l’épouserai point[1].

Harpagon

Je suis votre très humble valet ; mais, (Contrefaisant Élise.) avec votre permission, vous l’épouserez dès ce soir.

Élise

Dès ce soir ?

Harpagon

Dès ce soir.

Élise, faisant encore la révérence.

Cela ne sera pas, mon père.

Harpagon, contrefaisant encore Élise.

Cela sera, ma fille.

Élise

Non.

Harpagon

Si.

Élise

Non, vous dis-je.

Harpagon

Si, vous dis-je.

Élise

C’est une chose où vous ne me réduirez point.

Harpagon

C’est une chose où je te réduirai.

Élise

Je me tuerai plutôt que d’épouser un tel mari.

Harpagon

Tu ne te tueras point, et tu l’épouseras. Mais voyez quelle audace ! A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à son père ?

Élise

Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ?

Harpagon

C’est un parti où il n’y a rien à redire ; et je gage que tout le monde approuvera mon choix.

  1. Dans presque toutes les comédies de Molières il y a une jeune fille qu’on veut marier contre son gré. Le talent du poëte est d’avoir varié cette situation uniforme par le seul effet du caractère et du ton des personnages. Élise n’a point appris à respecter son père. Ce seul trait suffit pour donner de la nouveauté à une situation qui est cependant la même que celle de Mariane dans le Tartufe, et d’Henriette dans les Femmes Savantes. (Aimé Martin.)