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morceaux, de vous parler d’un pain de rive[1] biseau doré, relevé de croûte partout, croquant tendrement sous la dent ; d’un vin à sève veloutée, armé d’un vert qui n’est point trop commandant ; d’un carré de mouton gourmandé de persil ; d’une longe de veau de rivière[2], longue comme cela, blanche, délicate, et qui, sous les dents, est une vraie pâte d’amande ; de perdrix relevées d’un fumet surprenant ; et, pour son opéra, d’une soupe à bouillon perlé, soutenue d’un jeune gros dindon cantonné de pigeonneaux, et couronnée d’oignons blancs mariés avec la chicorée. Mais, pour moi, je vous avoue mon ignorance ; et, comme monsieur Jourdain a fort bien dit, je voudrois que le repas fût plus digne de vous être offert.

DORIMÈNE.

Je ne réponds à ce compliment qu’en mangeant comme je fais.

MONSIEUR JOURDAIN.

Ah ! que voilà de belles mains  !

DORIMÈNE.

Les mains sont médiocres, monsieur Jourdain ; mais vous voulez parler du diamant, qui est fort beau.

MONSIEUR JOURDAIN.

Moi, madame ? Dieu me garde d’en vouloir parler ! ce ne seroit pas agir en galant homme ; et le diamant est fort peu de chose.

DORIMÈNE.

Vous êtes bien dégouté.

MONSIEUR JOURDAIN.

Vous avez trop de bonté…

DORANTE, après avoir fait un signe à monsieur Jourdain.

Allons, qu’on donne du vin à monsieur Jourdain et à ces messieurs, qui nous feront la grace de nous chanter[3] quelque air à boire.

DORIMÈNE.

C’est merveilleusement assaisonner la bonne chère, que

  1. Pain qui, ayant été placé sur la rive, c’est-à-dire sur le bord du four, n’a point touché les autres pains, et se trouve cuit et doré tout alentour. (F. Génin.)
  2. Veau de rivière, veau élevé en Normandie, dans des prairies voisines de la Seine.
  3. Var. De nous chanter un air à boire.