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MONSIEUR JOURDAIN.

Oui, marquise.

MADAME JOURDAIN.

Hélas ! Dieu m’en garde !

MONSIEUR JOURDAIN.

C’est une chose que j’ai résolue.

MADAME JOURDAIN.

C’est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu’un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu’elle ait des enfants qui aient honte de m’appeler leur grand’maman. S’il falloit qu’elle me vînt visiter en équipage de grande dame, et qu’elle manquât, par mégarde, à saluer quelqu’un du quartier, on ne manqueroit pas aussitôt de dire cent sottises. Voyez-vous, diroit-on, cette madame la marquise qui fait tant la glorieuse ? c’est la fille de monsieur Jourdain, qui étoit trop heureuse, étant petite, de jouer à la madame avec nous. Elle n’a pas toujours été si relevée que la voilà, et ses deux grands-pères vendoient du drap auprès de la porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu’ils paient maintenant, peut-être, bien cher en l’autre monde ; et l’on ne devient guère si riches à être honnêtes gens. Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un homme, en un mot, qui m’ait obligation de ma fille, et à qui je puisse dire : Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi.

MONSIEUR JOURDAIN.

Voilà bien les sentiments d’un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage : ma fille sera marquise, en dépit de tout le monde ; et, si vous me mettez en colère, je la ferai duchesse[1].


Scène XIII.

MADAME JOURDAIN. LUCILE, CLÉONTE, NICOLE, COVIELLE.
MADAME JOURDAIN.

Cléonte, ne perdez point courage encore. (À Lucile.) Suivez--

  1. Comparez cette scène avec l’entretien de Sancho Pança et de sa femme Don Quichotte, part. II [illisible]