Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Harpagon

Ce que je viens de dire ?

Cléante

Non.

Harpagon

Si fait, si fait.

Élise

Pardonnez-moi.

Harpagon

Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C’est que je m’entretenois en moi-même de la peine qu’il y a aujourd’hui à trouver de l’argent, et je disais qu’il est bien heureux qui peut avoir dix mille écus chez soi.

Cléante

Nous feignions[1] à vous aborder, de peur de vous interrompre.

Harpagon

Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n’alliez pas prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c’est moi qui ai dix mille écus[2].

Cléante

Nous n’entrons point dans vos affaires.

Harpagon

Plût à Dieu que je les eusse, dix mille écus !

Cléante

Je ne crois pas…

Harpagon

Ce serait une bonne affaire pour moi.

  1. Feindre dans le sens d’hésiter.
  2. On trouve dans une facétie du quinzième siècle une tirade qui offre quelque analogie avec la scène ci-dessus :
    « Premier tu te mets en danger
    » De perdre le boire et manger,
    » D’avarice qui te tiendra ;
    » Puis le grand diable viendra
    » Qui te dira qu’on te dérobe…
    » Un rische a toujours doubte et tremble
    » De paour qu’on lui emble le sien ;
    » Mais un poure homme qui n’a rien
    » Jamais il ne craint le deschet ;
    » Car qui n’a rien, rien ne lui chet. »
    Voyez le Dialogue beau et afable, et à toutes gens moult delectable d’un sage et d’un fol, etc. Paris (sans date).