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monstrative, la ligne du corps. Quand on pousse en quarte, on n’a qu’à faire cela, et, quand on pousse en tierce, on n’a qu’à faire cela. Voilà le moyen de n’être jamais tué ; et cela n’est-il pas beau, d’être assuré de son fait quand on se bat contre quelqu’un ? Là, pousse-moi un peu, pour voir.

NICOLE.

Hé bien ! quoi !

(Nicole pousse plusieurs bottes à monsieur Jourdain.)

MONSIEUR JOURDAIN.

Tout beau ! Holà ! ho ! Doucement Diantre soit la coquine !

NICOLE.

Vous me dites de pousser.

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui ; mais tu me pousses en tierce avant que de me pousser en quarte, et tu n’as pas la patience que je pare.

MADAME JOURDAIN.

Vous êtes fou, mon mari, avec toutes vos fantaisies ; et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez de hanter la noblesse.

MONSIEUR JOURDAIN.

Lorsque je hante la noblesse, je fais paroître mon jugement ; et cela est plus beau que de hanter votre bourgeoisie.

MADAME JOURDAIN.

Çamon[1] vraiment ! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles, et vous avez bien opéré avec ce beau monsieur le comte, dont vous vous êtes embéguiné !

MONSIEUR JOURDAIN.

Paix ; songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui ? C’est une personne d’importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l’on considère à la cour, et qui parle au roi tout comme je vous parle. N’est-ce pas une chose qui m’est tout à fait honorable, que l’on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m’appelle son cher ami, et me traite comme si j’étois son égal ? Il a pour moi des bontés qu’on ne devineroit jamais ;

  1. C'est mon, ce fay mon, ce faudra mon, sont façons de parler de harengères dit Antoioe Oudin dans sa grammaire française. Il est probable que çamon est une corruption de c’est mon, qui se disait par abréviation de c’est mon avis. On en trouve un exemple dans Montaigne, liv. II, ch. 37. (Aimé Martin.)