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NOTICE.

grues, de croire nous divertir avec de telles pauvretés. Qu’est ce qu’il veut dire avec son Ha la ba, ba la chou ? Le pauvre homme extravague, il est épuisé : si quelque autre auteur ne prend le théâtre, il va tomber dans la farce italienne ! ». Voilà ce que la vanité, la sottise et l’ignorance dictaient à monsieur le duc et à ses nobles confrères ; voilà ce qu’ils repétèrent tous à l’envi pendant cinq grands jours que la seconde représentation se fit attendre. Nous disons cinq grands jours : en effet, que l’on se peigne le malheureux Molière désespéré de ce concert de diatribes, mais plus encore du silence du roi, renfermé dans sa chambre, dont il n’osait sortir, et envoyant, de temps à autre, Baron chercher des nouvelles qui n’avaient jamais rien de consolant.

Enfin il arriva, ce jour qu’il redoutait même en le désirant. La seconde représentation fut aussi calme que la première ; mais le roi dit à Molière après le spectacle : « Je ne vous ai point parlé de votre pièce le premier jour, parce que j’ai appréhendé d’être séduit par la manière dont elle avait été représentée ; mais, en vérité, Molière, vous n’avez encore rien fait qui m’ait plus diverti, et votre pièce est excellente. » On rendrait difficilement la joie qu’un tel jugement, qu’un tel acte de justice fit éprouver au malheureux patient ; mais on aurait tort de se figurer que ses critiques, si violents et si acharnés, en demeurèrent confus. À peine l’approbation royale leur fut-elle annoncée qu’ils entourèrent Molière et l’accablèrent de louanges. « Cet homme-là est inimitable, disait ce même duc, naguère si furieux ; il y a un vis comica dans tout ce qu’il fait que les anciens n’ont pas aussi heureusement rencontré. »

Le 23 novembre de cette même année 1670, le Bourgeois gentilhomme fut représenté à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal ; et là le succès fut encore plus grand que devant la cour, parce que chaque bourgeois, dit Grimarest, y croyait trouver son voisin peint au naturel, et ne se lassait point d’aller voir ce portrait. » Quelques personnes crurent aussi reconnaître dans M. Jourdain un chapelier nommé Gandoin, qui s’était rendu célèbre par ses prodigalités, et qui avait dépensé cinquante mille écus avec une femme de la connaissance de Molière.

Malgré les sarcasmes qui tombaient sur elle avec tant de gaieté et de malice, la bourgeoisie ne se montra nullement scandalisée. Elle rit de bon cœur et ne se fâcha point ; mais parmi les gens de cour, on murmura contre le rôle de Dorante, qui offrait le type accompli, et sans aucun doute très-reconnaissable, de ces chevaliers d’industrie du dix-septième siècle, si nombreux alors dans la haute société, et qu’on acceptait malgré leurs vices sur la foi de leur titre. Ce rôle offrait même aux ennemis de Molière une nouvelle occasion de le signaler comme un