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ACTE I, SCÈNE III.

traître dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furètent de tous côtés pour voir s’il n’y a rien à voler[1].

La Flèche

Comment diantre voulez-vous qu’on fasse pour vous voler ? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ?

Harpagon

Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu’on fait ? (Bas, à part.) Je tremble qu’il n’ait soupçonné quelque chose de mon argent. (Haut.) Ne serois-tu point homme à[2] aller faire courir le bruit que j’ai chez moi de l’argent caché ?

La Flèche

Vous avez de l’argent caché ?

Harpagon

Non, coquin, je ne dis pas cela. (Bas.) J’enrage ! (Haut.) Je demande si, malicieusement, tu n’irois point faire courir le bruit que j’en ai.

La Flèche

Hé ! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n’en ayez pas, si c’est pour nous la même chose ?

Harpagon, levant la main pour donner un soufflet à la Flèche.

Tu fais le raisonneur ! Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. Sors d’ici, encore une fois.

La Flèche

Eh bien ! je sors.

Harpagon

Attends : ne m’emportes-tu rien ?

La Flèche Que vous emporterois-je ?

Harpagon

Tiens, viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains[3].

La Flèche

Les voilà.

  1. Dans Plaute, l’Avare dit à une vieille esclave,
    Circomspectarix cum oculis emissitiis ?
  2. Var. Ne serois-tu point homme à aller faire courir le bruit, etc.
  3. Var. Tiens, viens ça, que je voie, etc.