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vous font trop acheter le plaisir que l’on trouve à contenter son inclination. C’est à quoi, Sostrate, je ne me serais jamais résolue, et j’ai cru faire assez de fuir l’engagement dont j’étais sollicitée. Mais enfin les Dieux veulent prendre le soin eux-mêmes de me donner un époux ; et tous ces longs délais avec lesquels j’ai reculé mon mariage, et que les bontés de la Princesse ma mère ont accordés à mes désirs, ces délais, dis-je, ne me sont plus permis, et il me faut résoudre à subir cet arrêt du Ciel. Soyez sûr, Sostrate, que c’est avec toutes les répugnances du monde que je m’abandonne à cet hyménée, et que, si j’avais pu être maîtresse de moi, ou j’aurais été à vous, ou je n’aurais été à personne. Voilà, Sostrate, ce que j’avais à vous dire, voilà ce que j’ai cru devoir à votre mérite, et la consolation que toute ma tendresse peut donner à votre flamme.

SOSTRATE.

Ah ! Madame, c’en est trop pour un malheureux : je ne m’étais pas préparé à mourir avec tant de gloire, et je cesse, dans ce moment, de me plaindre des destinées. Si elles m’ont fait naître dans un rang beaucoup moins élevé que mes désirs, elles m’ont fait naître assez heureux pour attirer quelque pitié du cœur d’une grande Princesse ; et cette pitié glorieuse vaut des sceptres et des couronnes, vaut la fortune des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, dès que j’ai osé vous aimer, c’est vous, Madame, qui voulez bien que je me serve de ce mot téméraire, dès que j’ai, dis-je, osé vous aimer, j’ai condamné d’abord l’orgueil de mes désirs, je me suis fait moi-même la destinée que je devais attendre. Le coup de mon trépas, Madame, n’aura rien qui me surprenne, puisque je m’y étais préparé ; mais vos bontés le comblent d’un honneur que mon amour jamais n’eût osé espérer, et je m’en vais mourir après cela le plus content et le plus glorieux de tous les hommes. Si je puis encore souhaiter quelque chose, ce sont deux grâces, Madame, que je prends la hardiesse de vous demander à genoux : de vouloir souffrir ma présence jusqu’à cet heureux hyménée, qui doit mettre fin à ma vie ; et parmi cette grande gloire, et ces longues prospérités que le Ciel promet à votre union, de vous souvenir quelquefois de l’amoureux Sostrate. Puis-je, divine Princesse, me promettre de vous cette précieuse faveur ?

ÉRIPHILE.

Allez, Sostrate,