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L’AVARE.

notre confidence ; et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de son humeur.


Scène III

HARPAGON, LA FLÈCHE.
Harpagon[1]

Hors d’ici tout à l’heure, et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence !

La Flèche, à part.

Je n’ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je pense, sauf correction, qu’il a le diable au corps.

Harpagon

Tu murmures entre tes dents ?

La Flèche

Pourquoi me chassez-vous ?

Harpagon

C’est bien à toi, pendard, à me demander des raisons ! Sors vite, que je ne t’assomme[2].

La Flèche

Qu’est-ce que je vous ai fait ?

Harpagon

Tu m’as fait que je veux que tu sortes.

La Flèche

Mon maître, votre fils, m’a donné ordre de l’attendre.

Harpagon

Va-t’en l’attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires, un

  1. Le personnage de l’avare, chez Plaute, s’appelle Euclio. C’est le supplément de cette pièce, par Codrus Urceus, qui a fourni à Molière le nom d’Harpagon. Les maitres de ce temps-ci sont avares, dit Strobile, scène ii de l’acte V ; nous les appelons des Harpagons, des Harpies :
    Tenaces nimium dominos nostra ætas tulit,
    Quos Harpagones, Harpigias et Tautalos
    Vocare soleo (Bret.)
  2. « Sors d’ici, sors, te dis-je ; oui, tu sortiras, avec ces regards curieux qui cherchent tout autour de toi. — Pourquoi me chassez-vous de la maison ? — C’est bien à toi à me demander des raisons ! Quitte à l’instant le seuil de cette porte ; va-t-en ! Mais voyez si elle bougera !… Tu murmures entre tes dents, etc. » (Plaute)