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depuis un temps, la passion que vous voulez tenir secrète, pensez-vous que la Princesse Ériphile puisse avoir manqué de lumière pour s’en apercevoir ? Les belles, croyez-moi, sont toujours les plus clairvoyantes à découvrir les ardeurs qu’elles causent, et le langage des yeux et des soupirs se fait entendre mieux qu’à tout autre à celles à qui il s’adresse.

SOSTRATE.

Laissons-la, Clitidas, laissons-la voir, si elle peut, dans mes soupirs et mes regards l’amour que ses charmes m’inspirent ; mais gardons bien que, par nulle autre voie, elle en apprenne jamais rien.

CLITIDAS.

Et qu’appréhendez-vous ? Est-il possible que ce même Sostrate qui n’a pas craint ni Brennus, ni tous les Gaulois, et dont le bras a si glorieusement contribué à nous défaire de ce déluge de barbares qui ravageait la Grèce, est-il possible, dis-je, qu’un homme si assuré dans la guerre soit si timide en amour, et que je le voie trembler à dire seulement qu’il aime ?

SOSTRATE.

Ah ! Clitidas, je tremble avec raison, et tous les Gaulois du monde ensemble sont bien moins redoutables que deux beaux yeux pleins de charmes.

CLITIDAS.

Je ne suis pas de cet avis, et je sais bien pour moi qu’un seul Gaulois, l’épée à la main, me ferait beaucoup plus trembler que cinquante beaux yeux ensemble les plus charmants du monde. Mais dites-moi un peu, qu’espérez-vous faire ?

SOSTRATE.

Mourir sans déclarer ma passion.

CLITIDAS.

L’espérance est belle. Allez, allez, vous vous moquez : un peu de hardiesse réussit toujours aux amants ; il n’y a en amour que les honteux qui perdent, et je dirais ma passion à une déesse, moi, si j’en devenais amoureux.

SOSTRATE.

Trop de choses, hélas ! condamnent mes feux à un éternel silence.

CLITIDAS.

Hé quoi ?

SOSTRATE.