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MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Que diable est-ce-ci ?

LUCETTE.

Lou traité me quittel trés ans après, sul préteste de qualques affayres que l’apelabon dins soun pays, et despey noun ly resçau put quaso de noubelo ; may dins lou tens qui soungeabi lou mens, m’an dounat abist, que begnio dins aquesto bilo, per se remarida dambé un autro jouena fillo, que sous parens ly an proucurado, sensse saupré res de son prumié mariatge. Yeu ai tout quitat en diligensso, et me souy rendu dodins aqueste loc lou pu leu qu’ay pouscut, per m’oupousa en aquel criminel mariatge, et confondre as elys de tout le mounde lou plus méchant day hommes[1].

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Voilà une étrange effrontée !

LUCETTE.

Impudint ! n’as pas honte de m’injuria, alloc d’être confus day reproches secrets que ta conssiensso te deu fayre[2] ?

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Moi, je suis votre mari ?

LUCETTE.

Infâme ! gausos-tu dire lou contrari ? Hé ! tu sabes bé, per ma penno, que n’es que trop bertat ; et plaguesso al cel qu’aco non fougesso pas, et que m’auquessos layssado dins l’état d’innoussenço, et dins la tranquillitat oun moun amo bibio daban que tous charmes et tas trounpariés nou m’en benguesson malhurousomen fayre sourty ! yeu nou serio pas réduito à fayré lou tristé persounatge que yeu fave présentomen ; à beyre un marit cruel mespresa touto l’ardou que yeu ay per el, et me laissa sensse cap de piétat abandounado à las mourtéles doulous que yeu ressenti de sas perfidos acciùs[3].

  1. Le traitre me quitta trois ans après, sous le prétexte de quelque affaire qui l’appelait dans son pays, et depuis je n’en ai point eu de nouvelles ; mais, dans le temps que j’y songeais le moins, on m’a donné avis qu’il venait dans cette ville pour se remarier avec une autre jeune fille que ses parents lui ont promise, sans savoir rien de son premier mariage. J’ai tout quitté aussitôt, et je me suis rendue dans ce lieu le plus promptement que j’ai pu, pour m’opposer à ce criminel mariage, et pour confondre aux yeux de tout le monde le plus méchant des hommes.
  2. Impudent ! n’as-tu pas honte de m’injurier, au lieu d’être confus des reproches secrets que ta conscience doit te faire ?
  3. Infâme ! oses-tu dire le contraire ? Ah ! tu sais bien, pour mon malheur, que