seau, ébranler l’autorité paternelle. Remarquons d’abord que les pères, les maris, les vieillards que Molière raille gaiement ne sont pas ridicules par leur caractère de père, de mari et de vieillard ; mais par les vices et les passions qui déshonorent en eux ce caractère même. Dans l’École des Maris, Sganarelle est ridicule, non parce qu’il est vieux, mais parce qu’étant vieux il est amoureux, et surtout un amoureux sévère et dur, ce qui est contraire au caractère de l’amour ; et il est si vrai que Sganarelle n’est point ridicule à cause de son âge mais à cause de ses défauts, qu’à côté de lui est Ariste, son frère, vieux aussi et amoureux, mais aimable et indulgent, qui est le héros de la pièce, et que la jeune Léonore épouse de fort bon cœur. Ce n’est donc point la vieillesse que Molière ridiculise, ce sont les défauts qui la discréditent. J’en dirai autant d’Arnolfe dans l’École des Femmes : il n’est pas ridicule parce qu’il est vieux, mais parce qu’il est grondeur et jaloux. George Dandin non plus n’est pas ridicule parce qu’il est marié, mais parce qu’il a fait un mariage de vanité : il paye la faute de son orgueil. Harpagon enfin nous amuse, non comme père, mais comme avare ; et, si son fils lui manque de respect, c’est que, dans ce moment, l’avare, l’usurier et le vieillard amoureux, les trois vices ou les trois ridicules d’Harpagon, cachent et dérobent le père.
La comédie, en faisant punir les vices les uns par les autres, représente la justice du monde telle qu’elle est, justice qui s’exerce et qui s’accomplit à l’aide des passions humaines qui se combattent et se renversent tour à tour. C’est cette justice qu’expriment aussi les proverbes, qui ne sont que la comédie résumée en maximes, quand ils disent : À père avare fils prodigue. Lorsque les passions sont grandes et fortes, cette justice est terrible, et elle enfante l’émotion de la tragédie ; quand les passions sont plus petites et plus mesquines, cette justice est plaisante et gaie : elle enfante alors le ridicule de la comédie.
» Une étude attentive des rôles du père et du fils, d’Harpagon et de Cléante, dans l’Avare, justifiera ces réflexions.
» Si je voulais, dans un sermon, dépeindre l’avarice et la rendre odieuse ; si je disais que cette passion fait tout oublier, l’honneur, l’amitié, la famille ; que l’avare préfère son or à ses enfants ; que ceux-ci, réduits par l’avarice de leur père aux plus grandes nécessités, s’habituent bientôt à ne plus le respecter, et que cette révolte des enfants est le châtiment de l’avarice du père ; si je disais tout cela dans un sermon, qui s’en étonnerait ? qui s’aviserait de prétendre qu’en parlant ainsi j’encourage les enfants à oublier le respect qu’ils doivent à leurs parents ? Molière, dans la scène de l’Avare qu’accuse Jean-Jacques Rousseau, n’a pas fait autre chose que mettre en action le sermon que j’imagine. Quand le père oublie l’honneur, le fils