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des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait. Oui, monsieur, vous avez dépeint fort graphiquement, graphice depinxisti, tout ce qui appartient à cette maladie. Il ne se peut rien de plus doctement, sagement, ingénieusement conçu, pensé, imaginé, que ce que vous avez prononcé au sujet de ce mal, soit pour la diagnose ou la prognose, ou la thérapie[1] ; et il ne me reste rien ici, que de féliciter monsieur d’être tombé entre vos mains, et de lui dire qu’il est trop heureux d’être fou, pour éprouver l’efficace et la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement proposés. Je les approuve tous, manibus et pedibus descendo in tuam sententiam[2]. Tout ce que j’y voudrois ajouter, c’est de faire les saignées et les purgations en nombre impair, numéro deus impare gaudet ; de prendre le lait clair avant le bain ; de lui composer un fronteau[3] où il entre du sel, le sel est symbole de la sagesse ; de faire blanchir les murailles de sa chambre, pour dissiper les ténèbres de ses esprits, album est disgregativum visus[4] ; et de lui donner tout à l’heure un petit lavement, pour servir de prélude et d’introduction à ces judicieux remèdes dont, s’il a à guérir, il doit recevoir du soulagement. Fasse le ciel que ces remèdes, monsieur, qui sont les vôtres, réussissent au malade, selon notre intention !

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Messieurs, il y a une heure que je vous écoute. Est-ce que nous jouons ici une comédie ?

PREMIER MÉDECIN

Non, monsieur, nous ne jouons point.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Qu’est-ce que tout ceci ? et que voulez-vous dire, avec votre galimatias et vos sottises ?

  1. Diagnose pour diagnostique, connaissance des symptômes ; prognose, jugement d’après les symptômes ; thérapie, pour thérapeutique, traitement de la maladie.
  2. Dans le sénat romain, quand quelqu’un, en opinant, avoit ouvert un avis, ceux qui pensoient comme lui se rangeoient de son côté, et ceux qui étoient d’un sentiment contraire passoient du côté opposé. L’action des premiers s’exprimoit par cette phrase : Pedibus ire ou descendere in sententiam alicujus ; phrase qu’il seroit impossible de traduire littéralement en françois, mais dont le sens est à peu près conservé dans l’expression figurée, se ranger à l’avis de quelqu’un.
    (Auger.)
  3. Médicament qu’on applique sur le front pour calmer les douleurs de tête.
  4. C’est-à-dire : Le blanc blesse la vue ou la fatigue.