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obturante, et à cette cacochymie luxuriante par tout le corps, je suis d’avis qu’il soit phlébotomisé libéralement ; c’est-à-dire, que les saignées soient fréquentes et plantureuses : en premier lieu, de la basilique, puis de la céphalique[1], et même, si le mal est opiniâtre, de lui ouvrir la veine du front, et que l’ouverture soit large, afin que le gros sang puisse sortir ; et, en même temps, de le purger, désopiler, et évacuer par purgatifs propres et convenables ; c’est-à-dire, par cholagogues, mélanogogues[2], et cætera : et comme la véritable source de tout le mal est ou une humeur crasse et féculente, ou une vapeur noire et grossière, qui obscurcit, infecte et salit les esprits animaux, il est à propos ensuite qu’il prenne un bain d’eau pure et nette, avec force petit-lait clair, pour purifier, par l’eau, la féculence de l’humeur crasse, et éclaircir, par le lait clair, la noirceur de cette vapeur. Mais, avant toute chose, je trouve qu’il est bon de le réjouir par d’agréables conversations, chants et instruments de musique ; à quoi il n’y a pas d’inconvénient de joindre des danseurs, afin que leurs mouvements, disposition[3] et agilité, puissent exciter et réveiller la paresse de ses esprits engourdis, qui occasionne l’épaisseur de son sang, d’où procède la maladie. Voilà les remèdes que j’imagine, auxquels pourront être ajoutés beaucoup d’autres meilleurs, par monsieur notre maître et ancien, suivant l’expérience, jugement, lumière et suffisance qu’il s’est acquise dans notre art. Dixi.

SECOND MÉDECIN.

À Dieu ne plaise, monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le seroit pas, il faudroit qu’il le devînt, pour la beauté

  1. La basilique, veine qui monte le long de la partie interne de l’os du bras jusqu’à l’axillaire, où elle se rend. La céphalique, l’une des veines du bras, qu’on croyait autrefois venir de la tête, et qu’on ouvrait, par cette raison, dans les cas où la tête avoit besoin d’être soulagée.
  2. Cholagogues, remèdes propres à chasser la bile. Mélanogogues, remèdes propres à chasser la bile noire, que les anciens appelaient mélancolie.
  3. Ce mot est employé ici dans le sens de dispos. Cette acception étoit nouvelle, et n’a pas été adoptée.
    (Aimé Martin.)