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detourner ce fâcheux mariage que mon père s’est mis en tête ?

ÉRASTE.

Au moins y travaillons-nous fortement ; et déjà nous avons préparé un bon nombre de batteries pour renverser ce dessein ridicule.

NÉRINE, accourant, à Julie.

Par ma foi, voilà votre père.

JULIE.

Ah ! séparons-nous vite.

NÉRINE.

Non, non, non, ne bougez ; je m’étois trompée.

JULIE.

Mon Dieu ! Nérine, que tu es sotte de nous donner de ces frayeurs !

ÉRASTE.

Oui, belle Julie, nous avons dressé pour cela quantité de machines ; et nous ne feignons point de mettre tout en usage, sur la permission que vous m’avez donnée. Ne nous demandez point tous les ressorts que nous ferons jouer ; vous en aurez le divertissement ; et, comme aux comédies, il est bon de vous laisser le plaisir de la surprise, et de ne vous avertir point de tout ce qu’on vous fera voir : c’est assez de vous dire que nous avons en main divers stratagèmes tout prêts à produire dans l’occasion, et que l’ingénieuse Nérine et l’adroit Sbrigani entreprennent l’affaire.

NÉRINE.

Assurément. Votre père se moque-t-il, de vouloir vous anger[1] de son avocat de Limoges, monsieur de Pourceaugnac, qu’il n’a vu de sa vie, et qui vient par le coche vous enlever à notre barbe ? Faut-il que trois ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre oncle, lui fassent rejeter un amant qui vous agrée[2] ? et une personne comme vous est-elle faite pour un Limosin ? S’il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine, et ne laisse-t-il en repos les chrétiens ? Le seul nom de monsieur de Pourceaugnac

  1. De augere et non angere, comme on l’a dit. Le mot est dans Nicot, mais écrit par un e. Voir, pour les explications et les exemples, F. Génin, Lexique de Molière, au mot Anger.
  2. Agréer signifie tantôt accepter, tantôt être agréable. Il est ici dans ce dernier sens.