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tournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes, où ma mère alla ramasser quelques malheureux restes d’une succession qu’on avait déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses parents, elle vint en ces lieux, où elle n’a presque vécu que d’une vie languissante.

Anselme

Ô ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien voir qu’il n’appartient qu’à toi de faire des miracles ! Embrassez-moi, mes enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux de votre père.

Valère

Vous êtes notre père ?

Mariane

C’est vous que ma mère a tant pleuré ?

Anselme

Oui, ma fille ; oui, mon fils ; je suis don Thomas d’Alburci, que le ciel garantit des ondes avec tout l’argent qu’il portoit, et qui, vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait, après de longs voyages, à chercher, dans l’hymen d’une douce et sage personne, la consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j’ai vu pour ma vie à retourner à Naples m’a fait y renoncer pour toujours ; et ayant su trouver moyen d’y faire vendre ce que j’y avois, je me suis habitué ici, où, sous le nom d’Anselme, j’ai voulu m’éloigner des chagrins de cet autre nom qui m’a causé tant de traverses.

Harpagon, à Anselme.

C’est là votre fils ?

Anselme

Oui.

Harpagon

Je vous prends à partie pour me payer dix mille écus qu’il m’a volés.

Anselme

Lui, vous avoir volé ?

Harpagon

Lui-même.

Valère

Qui vous dit cela ?