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Sganarelle

De quoi est-il question ?

Don Juan

Il est question de te dire qu’une beauté me tient au cœur, et qu’entraîné par ses appas je l’ai suivie jusqu’en cette ville.

Sganarelle

Et n’y craignez-vous rien, monsieur, de la mort de ce commandeur que vous tuâtes il y a six mois ?

Don Juan

Et pourquoi craindre ? ne l’ai-je pas bien tué ?

Sganarelle

Fort bien, le mieux du monde, et il aurait tort de se plaindre.

Don Juan

J’ai eu ma grâce de cette affaire.

Sganarelle

Oui ; mais cette grâce n’éteint pas peut-être le ressentiment des parents et des amis ; et…

Don Juan

Ah ! n’allons point songer au mal qui nous peut arriver, et songeons seulement à ce qui nous peut donner du plaisir. La personne dont je te parle est une jeune fiancée, la plus agréable du monde, qui a été conduite ici par celui même qu’elle y vient épouser, et le hasard me fit voir ce couple d’amants trois ou quatre jours avant leur voyage. Jamais je n’ai vu deux personnes être si contents l’un de l’autre, et faire éclater plus d’amour. La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l’émotion ; j’en fus frappé au cœur, et mon amour commença par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir d’abord de les voir si bien ensemble ; le dépit alarma mes désirs, et je me figurai un plaisir extrême à pouvoir troubler leur intelligence, et rompre cet attachement, dont la délicatesse de mon cœur se tenait offensée ; mais jusques ici tous mes efforts ont été inutiles, et j’ai recours au dernier remède. Cet époux prétendu doit aujourd’hui régaler sa maîtresse d’une promenade sur mer. Sans t’en avoir rien dit, toutes choses sont préparées pour satisfaire mon amour, et j’ai une petite barque et des gens, avec quoi fort facilement je prétends enlever la belle.

Sganarelle

Ah ! monsieur…