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Et l’on ne peut aller jusqu’à vous satisfaire
Qu’aux dernières faveurs on ne pousse l’affaire ?

Tartuffe
Moins on mérite un bien, moins on l’ose espérer.

1460Nos vœux sur des discours ont peine à s’assurer.
On soupçonne aisément un sort tout plein de gloire,
Et l’on veut en jouir avant que de le croire.
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
Je doute du bonheur de mes témérités ;
1465Et je ne croirai rien, que vous n’ayez, madame,
Par des réalités su convaincre ma flamme.

Elmire
Mon Dieu ! que votre amour en vrai tyran agit !

Et qu’en un trouble étrange il me jette l’esprit !
Que sur les cœurs il prend un furieux empire !
1470Et qu’avec violence il veut ce qu’il désire !
Quoi ! de votre poursuite on ne peut se parer,
Et vous ne donnez pas le temps de respirer ?
Sied-il bien de tenir une rigueur si grande ?
De vouloir sans quartier les choses qu’on demande,
1475Et d’abuser ainsi, par vos efforts pressants[1],
Du faible que pour vous vous voyez qu’ont les gens ?

Tartuffe
Mais, si d’un œil bénin vous voyez mes hommages,

Pourquoi m’en refuser d’assurés témoignages ?

Elmire
Mais comment consentir à ce que vous voulez,

1480Sans offenser le ciel, dont toujours vous parlez ?

Tartuffe
Si ce n’est que le ciel qu’à mes vœux on oppose,

Lever un tel obstacle est à moi peu de chose ;
Et cela ne doit pas retenir votre cœur.

Elmire
Mais des arrêts du ciel on nous fait tant de peur !


Tartuffe
1485Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,

Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.
Le ciel défend, de vrai, certains contentements ;
Mais on trouve avec lui des accommodements[2].

  1. Var. Et d’abuser ainsi par des efforts pressants.
  2. C’est un scélérat qui parle. (Note de Molière.) Il est probable que l’auteur