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Dorine
Oui ! oui ! vous nous contez une plaisante histoire !


Orgon
Je conte justement ce qu’on verra dans peu.


Dorine
Chansons !


Orgon
Chansons ! Ce que je dis, ma fille, n’est point jeu.


Dorine
Allez, ne croyez point à monsieur votre père ;

470Il raille.

Orgon
Il raille. Je vous dis…


Dorine
Il raille. Je vous dis… Non, vous avez beau faire,

On ne vous croira point.

Orgon
On ne vous croira point. À la fin, mon courroux…


Dorine
Hé bien ! on vous croit donc ; et c’est tant pis pour vous.

Quoi ! se peut-il, monsieur, qu’avec l’air d’homme sage,
Et cette large barbe au milieu du visage,
475Vous soyez assez fou pour vouloir… ?

Orgon
Vous soyez assez fou pour vouloir… ? Écoutez :

Vous avez pris céans certaines privautés
Qui ne me plaisent point ; je vous le dis, ma mie.

Dorine
Parlons sans nous fâcher, monsieur, je vous supplie.

Vous moquez-vous des gens d’avoir fait ce complot ?
480Votre fille n’est point l’affaire d’un bigot :
Il a d’autres emplois auxquels il faut qu’il pense.
Et puis, que vous apporte une telle alliance ?
À quel sujet aller, avec tout votre bien,
Choisir un gendre gueux ?…

Orgon
Choisir un gendre gueux ?… Taisez-vous. S’il n’a rien,

485Sachez que c’est par là qu’il faut qu’on le révère.
Sa misère est sans doute une honnête misère ;
Au-dessus des grandeurs elle doit l’élever,
Puisque enfin de son bien il s’est laissé priver