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Dorine
Le pauvre homme !La nuit se passa tout entière

Sans qu’elle pût fermer un moment la paupière ;
Des chaleurs l’empêchaient de pouvoir sommeiller,
Et jusqu’au jour, près d’elle, il nous fallut veiller.

Orgon
245Et Tartuffe ?


Dorine
Et Tartuffe ?Pressé d’un sommeil agréable,

Il passa dans sa chambre au sortir de la table ;
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.

Orgon
Le pauvre homme !


Dorine
Le pauvre homme !À la fin, par nos raisons gagnée,

250Elle se résolut à souffrir la saignée ;
Et le soulagement suivit tout aussitôt.

Orgon
Et Tartuffe ?


Dorine
Et Tartuffe ?Il reprit courage comme il faut ;

Et, contre tous les maux fortifiant son âme,
Pour réparer le sang qu’avait perdu madame,
255But, à son déjeuner, quatre grands coups de vin.

Orgon
Le pauvre homme !


Dorine
Le pauvre homme !Tous deux se portent bien enfin ;

Et je vais à madame annoncer, par avance,
La part que vous prenez à sa convalescence.



Scène 6

Orgon, Cléante.


Cléante[1]
À votre nez, mon frère, elle se rit de vous :
  1. Le rôle de Cléante était une indispensable contre-partie de celui du Tartuffe, un contre-poids ; Cléante nous figure l’honnête homme de la pièce, le représentant de la morale des honnêtes gens dans la perfection, de la morale du juste milieu. Pascal, dans ses premières Lettres, s’était mis, par supposition, en dehors des molinistes et des jansénistes, simple homme du monde et curieux qui se veut instruire. Cléante de même, mais plus à distance, se tient en dehors des dévots ; il se contente d’approuver les vrais, il les honore ; il flétrit les faux.