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Cléante
Je sortais, et j’ai joie à vous voir de retour.
Orgon
Dorine… (À Cléante.) Mon beau-frère, attendez, je vous prie.Vous voulez bien souffrir, pour m’ôter de souci,
Que je m’informe un peu des nouvelles d’ici.
(À Dorine.)
Tout s’est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ?
Qu’est-ce qu’on fait céans ? comme est-ce qu’on s’y porte ?
Dorine
Madame eut avant-hier la fièvre jusqu’au soir,Avec un mal de tête étrange à concevoir.
Orgon
Et Tartuffe ?
Dorine
Tartuffe ! Il se porte à merveille,Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille.
Orgon
Le pauvre homme[1] !
Dorine
Le soir elle eut un grand dégoût,Et ne put, au souper, toucher à rien du tout,
Tant sa douleur de tête était encor cruelle !
Orgon
Et Tartuffe ?
Dorine
Il soupa, lui tout seul, devant elle ;Et fort dévotement il mangea deux perdrix,
Avec une moitié de gigot en hachis.
Orgon
Le pauvre homme !
- ↑ Un soir, pendant la campagne de 1662, comme Louis XIV allait se mettre à table, il lui arriva de dire à Pèrefixe, évêque de Rodez, son ancien précepteur, qu’il lui conseillait d’en aller faire autant. Je ne ferai qu’une légère collation, dit le prélat en se retirant, c’est aujourd’hui vigile et jeûne. Cette réponse fit sourire un courtisan, qui, interrogé par Louis XIV, répondit que Sa Majesté pouvait se tranquilliser sur le compte de M. de Rodez ; après quoi il fit un récit exact du dîner de Son Excellence, dont le hasard l’avait rendu témoin. À chaque mets exquis que le conteur nommait, Louis XIV s’écriait : Le pauvre homme ! prononçant ces mots d’un son de voix varié qui les rendait plus plaisants. Molière, témoin de cette scène, en fit usage dans le Tartuffe.
(Bret.)