C’est moi qui vous le dis, qui suis votre grand’mère ;
Et j’ai prédit cent fois à mon fils, votre père,
Que vous preniez tout l’air d’un méchant garnement,
Et ne lui donneriez jamais que du tourment.
Et vous n’y touchez pas, tant vous semblez doucette ;
Mais il n’est, comme on dit, pire eau que l’eau qui dort,
Et vous menez sous chape[1] un train que je hais fort.
Votre conduite, en tout, est tout à fait mauvaise ;
Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux ;
Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux.
Vous êtes dépensière ; et cet état me blesse,
Que vous alliez vêtue ainsi qu’une princesse.
Quiconque à son mari veut plaire seulement,
Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement.
Je vous estime fort, vous aime, et vous révère ;
Mais enfin si j’étais de mon fils son époux,
Je vous prierais bien fort de n’entrer point chez nous.
Sans cesse vous prêchez des maximes de vivre
Qui par d’honnêtes gens ne se doivent point suivre.
Je vous parle un peu franc ; mais c’est là mon humeur,
Et je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur[2].
- ↑ Sous chape ou sous cape, en secret. La cape ou la chape, de bardocucullus des Gaulois, était un manteau à capuchon. On rabattait ce capuchon pour se cacher le visage, lorsqu’on voulait n’être point reconnu ; et métaphoriquement on vivait sous cape, quand on cachait ses actions.
- ↑ Molière, dans cette entrée en scène, dessine et fait connaître ses caractères avec une verve incomparable, ce qui a fait dire à l’auteur de la Lettre sur l’Imposteur, publiée quinze jours après la première représentation : « le spectateur reçoit une volupté très sensible d’être informé dès l’abord de la nature des personnages par une voie si fidèle et si agréable. »