Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/371

Cette page a été validée par deux contributeurs.

insultant à Molière, voilà les plus glorieux succès humain dans l’ordre de l’esprit, voilà dans son plus beau et en l’écoutant de près, de quoi se compose une gloire. » Cet applaudissement mêlé de reproches a retenti jusque dans notre temps, et dans ce siècle même, deux hommes, dont les noms ont rarement l’occasion de se rencontrer dans l’histoire littéraire, le critique Geoffroy et l’empereur Napoléon, tout en admirant sans réserve Tartuffe comme œuvre d’art, en ont porté un jugement fort sévère.

« Le Tartuffe, suivant Geoffroy, est le chef-d’œuvre de la scène comique, et l’un des plus parfaits ouvrages de littérature que jamais l’esprit humain ait conçus. Cette pièce réunit l’intrigue et l’intérêt avec la profondeur des caractères, la plus sublime raison avec le meilleur comique et la plus excellente plaisanterie, mais si nous envisageons du côté moral cette admirable production du génie, ajoute Geoffroy, elle a été plus nuisible qu’utile à la société… Les faux dévots se multiplièrent en dépit du Tartuffe Il y a une si grande affinité avec la religion et l’abus qu’on en peut faire, que cette pièce a dû réjouir les impies plus qu’elle n’affligeait les hypocrites…

« Malgré l’espèce de protection accordée au Tartuffe par un roi jeune et victorieux qui aimait les spectacles, et qui ne sentait peut-être pas combien il est aisé de confondre avec l’abus la chose dont on abuse, Bourdaloue osa tonner dans la chaire contre le danger d’une pareille comédie ; et dans ses réflexions, sur le Tartuffe, l’orateur chrétien se montra, non pas dévot et fanatique, mais grand philosophe et homme d’état. »

Voici maintenant le jugement de Napoléon : « Après le dîner, dit l’auteur du Mémorial de Sainte-Hélène, l’empereur nous a lu le Tartuffe ; mais il n’a pu l’achever, il se sentait trop fatigué ; il a posé le livre, et après le juste tribut d’éloges donné à Molière, il a terminé d’une manière à laquelle nous ne nous attendions pas : « Certainement, a-t-il dit, l’ensemble du Tartuffe est de main de maître, c’est un des chefs-d’œuvre d’un homme inimitable ; toutefois cette pièce porte un tel caractère, que je ne suis nullement étonné que son apparition ait été l’objet de fortes négociations à Versailles, et de beaucoup d’hésitation dans Louis XIV. Si j’ai droit de m’étonner de quelque chose, c’est qu’il l’ait laissé jouer ; elle présente, à mon avis, la dévotion sous des couleurs si odieuses ; une certaine scène offre une situation si décisive, si complètement indécente, que, pour mon propre compte, je n’hésite pas à dire que si la pièce eût été faite de mon temps, je n’en aurais pas permis la représentation. »

La Lettre sur la comédie de l’Imposteur, publiée quinze jours après l’unique représentation du Tartuffe en 1667, et selon toute