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Je vous promets ici d’éviter sa présence,
De faire place au choix où vous vous résoudrez,
Et ne souffrir ses vœux que quand vous le voudrez.


Scène V.


LYCARSIS, MYRTIL.

MYRTIL.

Eh bien ! vous triomphez avec cette retraite,
Et dans ces mots votre âme a ce qu’elle souhaite ;
Mais apprenez qu’en vain vous vous réjouissez,
Que vous serez trompé dans ce que vous pensez ;
Et qu’avec tous vos soins, toute votre puissance,
Vous ne gagnerez rien sur ma persévérance.

LYCARSIS.

Comment ? à quel orgueil, fripon, vous vois-je aller ?
Est-ce de la façon que l’on me doit parler ?

MYRTIL.

Oui, j’ai tort, il est vrai, mon transport n’est pas sage,
Pour rentrer au devoir, je change de langage ;
Et je vous prie ici, mon père, au nom des Dieux,
Et par tout ce qui peut vous être précieux[1],
De ne vous point servir, dans cette conjoncture,
Des fiers droits que sur moi vous donne la nature.
Ne m’empoisonnez point vos bienfaits les plus doux.
Le jour est un présent que j’ai reçu de vous ;
Mais de quoi vous serai-je aujourd’hui redevable,
Si vous me l’allez rendre, hélas ! insupportable ?
Il est, sans Mélicerte, un supplice à mes yeux :
Sans ses divins appas rien ne m’est précieux ;
Ils font tout mon bonheur et toute mon envie ;
Et si vous me l’ôtez, vous m’arrachez la vie.

LYCARSIS, à part.

Aux douleurs de son âme il me fait prendre part.

  1. Dans la troisième scène du quatrième acte de Tartufe, Marianne dit à son père :




    « Mon père, au nom du ciel qui connoit ma douleur,
    » Et par tout ce qui peut émouvoir votre cœur,
    » Relâchez-vous un peu des droits de la naissance,
    » Et dispensez mes vœux de cette obéissance,
    » Ne me réduisez point, par cette dure loi,
    » Jusqu’à me plaindre au ciel de ce que je vous doit ;
    » Et cette vie hélas ! que vous m’avez donnée,
    » Ne me la rendez pas, mon père, infortunée. »