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MÉLICERTE.

Rien ne me serviroit de vous le faire entendre.

MYRTIL.

Devez-vous rien avoir que je ne doive apprendre ?
Et ne blessez-vous pas notre amour aujourd’hui,
De vouloir me voler ma part de votre ennui[1] ?
Ah ! ne le cachez point à l’ardeur qui m’inspire.

MÉLICERTE.

Hé bien, Myrtil, hé bien ! il faut donc vous le dire.
J’ai su que, par un choix plein de gloire pour vous,
Eroxène et Daphné vous veulent pour époux ;
Et je vous avouerai que j’ai cette foiblesse,
De n’avoir pu, Myrtil, le savoir sans tristesse,
Sans accuser du sort la rigoureuse loi,
Qui les rend dans leurs vœux préférables à moi.

MYRTIL.

Et vous pouvez l’avoir, cette injuste tristesse !
Vous pouvez soupçonner mon amour de foiblesse,
Et croire qu’engagé par des charmes si doux,
Je puisse être jamais à quelque autre qu’à vous !
Que je puisse accepter une autre main offerte !
Hé ! que vous ai-je fait, cruelle Mélicerte,
Pour traiter ma tendresse avec tant de rigueur,
Et faire un jugement si mauvais de mon cœur ?
Quoi ? faut-il que de lui vous ayez quelque crainte ?
Je suis bien malheureux de souffrir cette atteinte ;
Et que me sert d’aimer comme je fais, hélas !
Si vous êtes si prête à ne le croire pas ?

MÉLICERTE.

Je pourrois moins, Myrtil, redouter ces rivales,
Si les choses étoient de part et d’autre égales ;
Et, dans un rang pareil, j’oserois espérer
Que peut-être l’amour me feroit préférer ;
Mais l’inégalité de bien et de naissance,
Qui peut d’elles à moi faire la différence…

MYRTIL.

Ah ! leur rang de mon cœur ne viendra point à bout,
Et vos divins appas vous tiennent lieu de tout.
Je vous aime, il suffit ; et dans votre personne,

  1. Var. De vouloir me voler la part de votre ennui.