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Et qu’enfin vous avez sujet de me haïr.
Faites-le, j’y consens.

Alceste
Faites-le, j’y consens. Hé ! le puis-je, traîtresse ?

Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse ?
Et quoique avec ardeur je veuille vous haïr,
1750Trouvé-je un cœur en moi tout prêt à m’obéir ?
(À Éliante et à Philinte.)
Vous voyez ce que peut une indigne tendresse,
Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse.
Mais, à vous dire vrai, ce n’est pas encor tout,
Et vous allez me voir la pousser jusqu’au bout,
1755Montrer que c’est à tort que sages on nous nomme,
Et que dans tous les cœurs il est toujours de l’homme.
(à Célimène.)
Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits ;
J’en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits,
Et me les couvrirai du nom d’une faiblesse
1760Où le vice du temps porte votre jeunesse,
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains
Et que dans mon désert où j’ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.
1765C’est par là seulement que, dans tous les esprits,
Vous pouvez réparer le mal de vos écrits,
Et qu’après cet éclat qu’un noble cœur abhorre,
Il peut m’être permis de vous aimer encore.

Célimène
Moi, renoncer au monde avant que de vieillir,

1770Et dans votre désert aller m’ensevelir !

Alceste
Et, s’il faut qu’à mes feux votre flamme réponde,

Que vous doit importer tout le reste du monde ?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents ?

Célimène
La solitude effraye une âme de vingt ans.

1775Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds ;
Et l’hymen…