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Célimène
Non, je n’en veux rien faire ; et, dans cette occurrence,

Tout ce que vous croirez m’est de peu d’importance.

Alceste
De grâce, montrez-moi, je serai satisfait,

Qu’on peut, pour une femme, expliquer ce billet.

Célimène
1365Non, il est pour Oronte ; et je veux qu’on le croie.

Je reçois tous ses soins avec beaucoup de joie,
J’admire ce qu’il dit, j’estime ce qu’il est,
Et je tombe d’accord de tout ce qu’il vous plaît.
Faites, prenez parti, que rien ne vous arrête,
1370Et ne me rompez pas davantage la tête.

Alceste, à part.
Ciel ! rien de plus cruel peut-il être inventé,

Et jamais cœur fut-il de la sorte traité !
Quoi ! d’un juste courroux je suis ému contre elle,
C’est moi qui me viens plaindre, et c’est moi qu’on querelle !
1375On pousse ma douleur et mes soupçons à bout,
On me laisse tout croire, on fait gloire de tout ;
Et cependant mon cœur est encore assez lâche
Pour ne pouvoir briser la chaîne qui l’attache,
Et pour ne pas s’armer d’un généreux mépris
1380Contre l’ingrat objet dont il est trop épris !
à Célimène.
Ah ! que vous savez bien ici contre moi-même,
Perfide, vous servir de ma faiblesse extrême,
Et ménager pour vous l’excès prodigieux
De ce fatal amour né de vos traîtres yeux !
1385Défendez-vous au moins d’un crime qui m’accable,
Et cessez d’affecter d’être envers moi coupable.
Rendez-moi, s’il se peut, ce billet innocent ;
À vous prêter les mains ma tendresse consent.
Efforcez-vous ici de paraître fidèle,
1390Et je m’efforcerai, moi, de vous croire telle.

Célimène
Allez, vous êtes fou dans vos transports jaloux,

Et ne méritez pas l’amour qu’on a pour vous.
Je voudrais bien savoir qui pourrait me contraindre
À descendre pour vous aux bassesses de feindre ;
1395Et pourquoi, si mon cœur penchait d’autre côté,