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Philinte
Une lettre peut bien tromper par l’apparence,

Et n’est pas quelquefois si coupable qu’on pense.

Alceste
Monsieur, encore un coup, laissez-moi, s’il vous plaît,

Et ne prenez souci que de votre intérêt.

Éliante
1245Vous devez modérer vos transports ; et l’outrage…


Alceste
Madame, c’est à vous qu’appartient cet ouvrage ;

C’est à vous que mon cœur a recours aujourd’hui,
Pour pouvoir s’affranchir de son cuisant ennui.
Vengez-moi d’une ingrate et perfide parente
1250Qui trahit lâchement une ardeur si constante ;
Vengez-moi de ce trait qui doit vous faire horreur.

Éliante
Moi, vous venger ? Comment ?


Alceste
Moi, vous venger ! Comment ? En recevant mon cœur.

Acceptez-le, madame, au lieu de l’infidèle ;
C’est par là que je puis prendre vengeance d’elle ;
1255Et je la veux punir par les sincères vœux,
Par le profond amour, les soins respectueux,
Les devoirs empressés et l’assidu service,
Dont ce cœur va vous faire un ardent sacrifice.

Éliante
Je compatis, sans doute, à ce que vous souffrez,

1260Et ne méprise point le cœur que vous m’offrez ;
Mais peut-être le mal n’est pas si grand qu’on pense,
Et vous pourrez quitter ce désir de vengeance.
Lorsque l’injure part d’un objet plein d’appas,
On fait force desseins qu’on n’exécute pas :
1265On a beau voir, pour rompre, une raison puissante,
Une coupable aimée est bientôt innocente ;
Tout le mal qu’on lui veut se dissipe aisément,
Et l’on sait ce que c’est qu’un courroux d’un amant.

Alceste
Non, non, madame, non. L’offense est trop mortelle ;

1270Il n’est point de retour, et je romps avec elle ;
Rien ne saurait changer le dessein que j’en fais,
Et je me punirais de l’estimer jamais.