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1190Profiter des bontés que lui montre votre âme.

Éliante
Pour moi, je n’en fais point de façons, et je croi

Qu’on doit sur de tels points être de bonne foi.
Je ne m’oppose point à toute sa tendresse ;
Au contraire, mon cœur pour elle s’intéresse ;
1195Et, si c’était qu’à moi la chose pût tenir,
Moi-même à ce qu’il aime on me verrait l’unir.
Mais si dans un tel choix, comme tout se peut faire,
Son amour éprouvait quelque destin contraire,
S’il fallait que d’un autre on couronnât les feux,
1200Je pourrais me résoudre à recevoir ses vœux ;
Et le refus souffert en pareille occurrence
Ne m’y ferait trouver aucune répugnance.

Philinte
Et moi, de mon côté, je ne m’oppose pas,

Madame, à ces bontés qu’ont pour lui vos appas ;
1205Et lui-même, s’il veut, il peut bien vous instruire
De ce que là-dessus j’ai pris soin de lui dire.
Mais si, par un hymen qui les joindrait eux deux,
Vous étiez hors d’état de recevoir ses vœux,
Tous les miens tenteraient la faveur éclatante
1210Qu’avec tant de bonté votre âme lui présente.
Heureux si, quand son cœur s’y pourra dérober,
Elle pouvait sur moi, madame, retomber !

Éliante
Vous vous divertissez, Philinte.


Philinte
Vous vous divertissez, Philinte. Non, madame,

Et je vous parle ici du meilleur de mon âme.
1215J’attends l’occasion de m’offrir hautement,
Et, de tous mes souhaits, j’en presse le moment[1].

  1. Le caractère de Philinte a été attaqué avec beaucoup de sévérité par Jean-Jacques, qui ne voit dans ce personnage « qu’un des ces honnêtes gens du grand monde, dont les maximes ressemblent beaucoup à celles des fripons ; de ces gens si doux, si modérés, qui trouvent toujours que tout va bien, parcequ’ils ont intérêt que rien n’aille mieux ; qui sont toujours contents de tout le monde, parcequ’ils ne se soucient de personne ; qui, autour d’une bonne table soutiennent qu’il n’est pas vrai que le peuple ait faim ; qui, de leur maison bien fermée, verraient voler, piller, égorger, massacrer tout le genre humain, sans se plaindre, attendu que Dieu les a doués d’une douceur très méritoire à supporter les malheurs d’autrui. » M. Aimé Martin, en rapportant ce passage, dit avec raison qu’une aussi injuste critique n’a pas besoin d’être réfutée.