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douzième représentation de cette farce qu’on la donna avec ce chef-d’œuvre, et cela cinq fois seulement. »

Il suffit, pour reconnaître la justesse de cette rectification, de recourir au témoignage de de Visé, qui s’était montré jusqu’alors l’un des adversaires les plus ardents de Molière, et à celui de Subligny, qui, au moment même des premières représentations, constatait l’immense succès de la pièce dans ces vers de la Muse dauphine :


Une chose de fort grand cours
Et de beauté très singulière
Est une pièce de Molière.
Toute la cour en dit du bien.
Après son Misanthrope, il ne faut plus voir rien :
C’est un chef-d’œuvre inimitable.


Quant à de Visé, il composa une sorte de préface apologétique qui fut imprimée en tête de la première édition.

Les personnages qui figurent dans le Misanthrope, ont été de la part des commentateurs l’objet de nombreuses suppositions. On s’est mis à chercher des clefs, et l’on a cru reconnaître le type de ces personnages, d’un côté dans la cour de Louis XIV, de l’autre dans l’entourage même de Molière. Timante, a-t-on dit, n’était autre que M. de Saint-Gilles, l’antagoniste de La Fontaine ; Oronte, c’était le duc de Saint-Aignan ; Célimène, c’était la duchesse de Longueville, qui suscita entre son amant et celui de madame de Montbazon, afin de se venger de cette dernière, un duel qui eut lieu sur la place Royale, et auquel elle assista cachée derrière une jalousie ; Alceste, c’était le duc de Montausier, et si l’on s’en rapporte à une note ajoutée par Saint-Simon sur le manuscrit du journal de Dangeau, ce dernier point de ressemblance aurait donné lieu à une scène assez bizarre :

« Molière fit le Misanthrope ; cette pièce fit grand bruit et eut un grand succès à Paris avant d’être jouée à la cour. Chacun y reconnut M. de Montausier, et prétendit que c’était lui que Molière avait eu en vue. M. de Montausier le sut et s’emporta jusqu’à faire menacer Molière de le faire mourir sous le bâton. Le pauvre Molière ne savait où se fourrer. Il fit parler à M. de Montausier par quelques personnes ; car peu osèrent s’y hasarder, et ces personnes furent fort mal reçues. Enfin le roi voulut voir le Misanthrope ; et les frayeurs de Molière redoublèrent étrangement, car Monseigneur allait aux comédies suivi de son gouverneur. Le dénouement fut rare ; M. de Montausier, charmé du Misanthrope, se sentit si obligé qu’on l’en eût cru l’objet, qu’au sortir de la comédie il envoya chercher Molière pour le remercier. Molière pensa mourir du message, et ne put se résoudre