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monde, que de l’exposer, comme elle est, à faire des enfants. Le monde n’est point du tout son fait ; et je vous conseille de la mettre dans un couvent, où elle trouvera des divertissements qui seront mieux de son humeur.

Sganarelle

Tous ces conseils sont admirables assurément, mais je les tiens un peu intéressés, et trouve que vous me conseillez fort bien pour vous. Vous êtes orfèvre, Monsieur Josse, et votre conseil sent son homme qui a envie de se défaire de sa marchandise. Vous vendez des tapisseries, Monsieur Guillaume, et vous avez la mine d’avoir quelque tenture qui vous incommode. Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille ; et vous ne seriez pas fâchée de la voir la femme d’un autre. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n’est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j’ai mes raisons pour cela ; mais le conseil que vous me donnez de la faire religieuse est d’une femme qui pourrait bien souhaiter charitablement d’être mon héritière universelle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s’il vous plaît, que je n’en suive aucun. (Seul.) Voilà de mes donneurs de conseils à la mode.



Scène 2

Lucinde, Sganarelle.
Sganarelle

Ah ! voilà ma fille qui prend l’air. Elle ne me voit pas. Elle soupire ; elle lève les yeux au ciel. À Lucinde. Dieu vous gard[1]. Bonjour ma mie. Hé bien ! qu’est-ce ? Comme vous en va ? Hé quoi ! toujours triste et mélancolique comme cela, et tu ne veux pas me dire ce que tu as? Allons donc, découvre-moi ton petit cœur. Là, ma pauvre mie, dis, dis, dis tes petites pensées à ton petit papa mignon. Courage ! Veux-tu que je te baise ? Viens. (À part.) J’enrage de la voir de cette humeur-là. (À Lucinde.) Mais, dis-moi, me veux-tu faire mourir de déplaisir ; et ne puis-je savoir d’où vient cette grande langueur ? découvre-m’en la cause, et je te promets que je ferai toutes choses pour toi. Oui, tu n’as qu’à me dire le

  1. Dieu vous gard, ou Dieu vous garde. Ces deux locutions étaient en usage du temps de Molière