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attache, l’enveloppe, la dévore ; puis courant de cordages en cordages, de vergues en vergues et de mâts en mâts, elle vole de l’une à l’autre extrémité du navire. Alors on voit tomber sur le tillac les lambeaux flamboyants des voiles et des pavillons ; la résine, dont toutes les parties du gréement étaient enduites, se fond et se précipite en pluie de feu ; les mâts embrasés se fendent et se brisent à grand bruit, et l’incendie victorieux ne laisse aux matelots d’autre voie de salut que la fuite.

Il restait à bord du vaisseau une misérable barquette, que le soleil et les vers avaient mise depuis longtemps hors de service. On la dégage, on étouffe le feu qui commençait à l’atteindre, et don Juan de la Cerda, suivi de douze de ses principaux officiers, s’estime heureux d’entrer dans cette frêle machine ; ils descendent du pont, ils se placent dans le canot, et, versant des larmes de rage, s’éloignent à la hâte du bâtiment embrasé.

Alors les matelots se jettent à la nage pour atteindre la terre ou gagner les autres navires espagnols. Mais les soldats qui se trouvaient sur le vaisseau, abandonnés de leurs compatriotes et enveloppés par la mort, se livrent au plus affreux désespoir. Ils parcourent le tillac en poussant d’horribles imprécations, ils saisissent leurs armes, font feu sur leurs chefs qui les ont délaissés, et jettent de grands cris de joie en voyant tomber trois des seigneurs castillans qui accompagnaient le duc. Mais lorsque la petite barquette est hors de la portée de leurs mousquets, c’est à eux-