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LE GUEUX DE MER

avaient toutes leurs voiles déployées ; le tillac était couvert d’armes et de soldats, et les ornements dorés de la proue et de la poupe réfléchissaient les feux du soleil. La mer blanchissait sous leurs lourdes carènes, et les plus grosses vagues se brisaient contre leurs flancs sans les ébranler.

D’un autre côté l’on apercevait les petites embarcations qui portaient au devant de la flotte les magistrats, la noblesse et une partie des dames de l’Écluse : ces légères chaloupes étaient décorées avec élégance, et leurs banderoles éclatantes semblaient se jouer dans les airs. L’œil ne pouvait se lasser du brillant spectacle qu’offraient les costumes variés des magistrats, les armes étincelantes des gentils-hommes et les pierreries des dames qui les accompagnaient.

À une égale distance de cette jolie flottille et de l’armée navale espagnole il y avait un bâtiment à deux mâts, de l’espèce de ceux qu’on nommait flibots. Il était de médiocre grandeur et dépourvu des plus simples ornements. Ce navire isolé, sans pavillon, sans peintures, enduit de toutes parts d’une résine noire, formait un étrange contraste avec le reste du tableau ; il semblait porter le deuil de la patrie au milieu de la fête des étrangers, et peut-être eût-il rappelé à l’œil d’un navigateur ces nuages sombres qui, apparaissant à l’horizon lorsque le ciel est encore serein et la mer calme, annoncent de loin la tempête inévitable.

Le magnifique tableau qui se déployait de toutes