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LE GUEUX DE MER

et devait se croire haï, méprisé, calomnié par celle qui avait eu son amour. N’aurait-il pas raison de lui rendre mépris pour mépris ?

Mais l’amour de la jeune comtesse n’était point si égoïste : quelque idée que pût avoir conçue son amant, il vivait, et il avait conservé, dans une condition peut-être obscure, les sentiments d’un héros. Comme sa conduite paraissait belle, quand on le comparait à ces Flamands dégénérés que la peur ou la déloyauté avaient rendus muets en présence des Espagnols ! Et quelle femme n’eût été fière de faire battre ce noble cœur plus grand que la fortune !

Ainsi la douleur et la joie agitaient en même temps Marguerite, et semblaient se partager son âme. Elle était heureuse d’avoir revu Louis de Winchestre, et cependant des larmes s’échappaient de ses yeux.

La nuit vint, et le sommeil suspendit le courroux de la douairière et la rêverie de sa nièce ; mais toutes deux revirent, dans leurs songes du matin, l’image du jeune homme dont l’audace les avait frappées. La baronne se le représenta pénitent et ramené par elle au giron de l’Église ; Marguerite crut le rencontrer sous les hautes voûtes du palais des Gruthuysen. Il était encore couvert du sang des soldats espagnols ; cependant cette fois elle ne le repoussait point.

Le lendemain, la baronne de Berghes, fidèle à l’usage antique des dames flamandes, consacra les premières heures de la journée à une lecture pieuse : placée dans un grand fauteuil où ses armoiries étaient