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jamais, il n’était plus qu’un époux ardent, fougueux, passionné, en proie aux transports les plus violents. — Arrêtez ! cria-t-il de loin d’une voix mal assurée ; au nom du Ciel, arrêtez : elle est innocente, on m’avait surpris ; … arrêtez, arrêtez !…

Les soldats ne prirent garde qu’à ces derniers mots : — Il n’est plus temps, Sire, répondirent-ils, un peu confus mais sans crainte ; nous avons fait notre devoir.

— Il n’est plus temps ! répéta le Roi, et un rire affreux contracta tous les muscles de sa figure : il n’est plus temps !… Mais je la vois reprit-il en faisant un geste d’épouvante ; son ombre est là… Isabelle ! don Carlos ! venez, venez aussi, venez avec elle dévorer mon cœur !

Les soldats, quoique vieillis dans les armées et accoutumés à l’horrible spectacle du carnage, ne purent soutenir la vue de Philippe poursuivi par le remords : ils se couvrirent le visage de leurs mains, pour ne plus apercevoir cette figure effrayante, plus horrible mille fois que l’image de la mort la plus horrible. Les cheveux du Roi étaient hérissés, ses yeux sortaient de leur orbite ; des nuances livides, jaunes et verdâtres se succédaient sur ses joues comme les nuages que chasse devant lui l’ouragan : tous ses muscles étaient tendus, tous ses membres tremblaient : sa respiration était pénible et entrecoupée, et des sons inarticulés s’échappaient de ses lèvres.

La Reine, qui avait repris connaissance, eut seule