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dans le plus bel appartement de son hôtel, et là, assise dans son grand fauteuil et le rosaire à la main, elle attendait l’arrivée des officiers espagnols, quand le mulâtre, dont elle avait déjà éprouvé la vigilante attention, se présenta devant elle. Cette fois il ne cherchait plus à cacher ses traits et sa couleur ; l’inquiétude se peignait dans ses regards, et ce fut d’une voix mal assurée qu’il lui dit :

— Il faut partir, madame, il faut me suivre ; dans une heure cette malheureuse cité sera la proie des soldats avides ; dans une heure il n’y aura plus d’asile pour vous dans les demeures des hommes ni dans les temples de l’Éternel ; mais je vous ai préparé une retraite inaccessible où vous n’aurez rien à redouter.

Semblable à celui qu’on arrache brusquement à un rêve agréable, la douairière ne savait trop si elle avait bien entendu. Elle hésita un moment, tournant son rosaire dans ses mains, et tellement troublée qu’elle rompit le fil qui en retenait les perles. Enfin, elle répondit d’un ton plein de hauteur :

— Vous vous trompez certainement, nous sommes royalistes, et le duc d’Albe nous protège ; comment ses soldats oseraient-ils nous insulter ?

Marguerite était assise à côté d’elle, pâle, tremblante, et attendant avec anxiété la décision que sa tante prendrait ; mais en l’entendant tenir un langage si imprudent, elle se leva, saisit la main de la vieille dame et lui dit en langue flamande :

— Chère tante, pouvez-vous vous aveugler à ce