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— Ne savez-vous pas, ma nièce, reprit la douairière un peu confuse, que la fin légitime tous les moyens ? Mais je ne veux point perdre le temps à combattre vos préjugés. Conduisez-moi, Godefroi.

Le domestique mena sa maîtresse à un escalier dérobé, et, après avoir monté quelques marches avec précaution, elle se trouva à portée d’une fente, ménagée peut-être par des valets curieux, d’où l’on découvrait toute l’étendue du salon. Elle vit alors Guillaume de Nassau, seul avec le vieux capitaine Von Hohenstrass. Il était assis dans un grand fauteuil, la tête appuyée sur la main gauche et tenant de la droite quelques papiers.

Le prince paraissait rêveur : après l’avoir contemplé quelque temps en silence, le capitaine s’approcha de lui. — Permettez, monseigneur, dit-il, qu’un vieux soldat vous découvre franchement sa pensée : il me semble que Votre Altesse a tort de vouloir emprunter de l’argent pour payer ses troupes. Vous êtes trop bon, monseigneur ; ces coquins de riches marchands vous extorqueront le double de ce qu’ils vous auront prêté.

— Je le sais, capitaine : mais que faire ? les soldats murmurent, et je suis résolu à sacrifier tout ce qui me reste au monde[1] pour les empêcher de piller. Mes concitoyens sont déjà assez malheureux !

  1. Peu s’en fallut que Guillaume de Nassau ne fût victime de la générosité qu’il montra dans cette occasion. Les soldats étrangers, qu’il ne put payer et auxquels il interdit le pillage, formèrent le dessein de le livrer aux Espagnols. Il ne se tira de leurs mains que par le dévouement