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enchaîne leur rage. Ce diable d’homme s’est acquis sur les patriotes un ascendant si extraordinaire, que tous respectent ses ordres et sacrifient leurs ressentiments personnels à leur enthousiasme pour lui.

La loyauté qui se peignait sur la figure du vieux militaire, ses yeux pleins de feu et sa voix animée ne permettaient pas de révoquer en doute la vérité de ses assertions. Aussi la baronne crut-elle devoir se retrancher derrière une accusation, sinon plus grave, du moins plus difficile à réfuter. — En supposant tout ce que vous dites là, reprit-elle, au moins vous ne vous laverez point du crime de rébellion ?

Le capitaine, incapable de dissimulation, répondit avec franchise : Jusqu’ici nous pourrions nous en défendre, puisque, tout en combattant le duc d’Albe, nous protestons de notre dévouement à son maître. Mais depuis que les députés des provinces du nord se sont réunis, il y a deux mois, et ont établi une sorte de gouvernement provisoire, je pense que nous ne tarderons pas à secouer tout à fait le joug de don Philippe : à mon avis, le plus tôt sera le mieux ; l’assassin de son épouse et de son propre fils[1] n’est pas digne d’un trône, mais d’une potence.

Ces mots portèrent au comble l’indignation de la douairière, et elle s’écria d’une voix altérée par la fureur : Capitaine, ma nièce et moi, nous nous

  1. C’est une opinion généralement reçue que Philippe fit mourir sa femme Isabelle de France et son fils don Carlos. Cette opinion se trouve clairement exprimée dans l’apologie du prince d’Orange.