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humanité, mon lieutenant ! Jamais je n’ai rencontré un officier ni plus brave, ni plus justement chéri de son équipage : aussi vous suis-je dévoué à la vie et à la mort, au point même d’avoir endossé la livrée servile d’un laquais par-dessus ma glorieuse jaquette de marin : et j’ose dire que c’est là un sacrifice pour un homme de cœur.

Marguerite lui demanda par quel prodige il avait pu mettre en défaut ceux qui le poursuivaient, et le brave pilote, après avoir juré deux ou trois fois, commença de la sorte son récit :

— Vous savez, lieutenant, que j’avais ordre de prendre quelques renseignements sur le sort de ces deux dames. J’appris qu’elles étaient prisonnières, et je courus à la prison. Malheureusement — et le bon vieillard se gratta la tête avec un peu de confusion en arrivant à cette partie de son aventure, — il se trouvait là un bateau submergé dont l’aspect me rappela mes vieilles habitudes : on le relevait ; je mis la main à l’œuvre, oubliant vos dames et ma commission… j’en demande pardon à cette belle demoiselle… et je dégageai le bâtiment aux dépens de mes culottes. J’eus ensuite une querelle avec des Espagnols, et, comme j’étais seul, ces chiens voulurent me prendre ; mais je me souvins du brave Bastien de Langhe[1] qui, entouré d’ennemis, se fit sauter avec eux. Imitant sa manœuvre, je me précipitai dans l’eau avec le capitaine des ennemis, auquel, par précaution, je

  1. C’était l’amiral de la petite ville de Vère dans l’île de Walcheren : il se fit sauter le 22 mars 1572.