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de n’être plus aimé d’elle. Ses transports la conduisaient lentement au tombeau,… un crime épouvantable l’y précipita…

Le mulâtre fut forcé de s’interrompre un moment pour essuyer ses larmes. — « Pardonnez ! dit-il : qui pourrait se rappeler sans horreur l’image la plus affreuse ? J’ai vu briller le poignard, j’ai vu le sang de ma mère rejaillir sur moi ;… et l’assassin,… c’était mon père ! »

Tandis qu’il prononçait ces mots d’une voix altérée tous ses membres tremblaient, ses yeux étaient ternes, et une nuance jaunâtre et livide se répandait sur ses joues. Cependant il continua son récit :

« Jusqu’alors je n’avais jamais senti le malheur de ma naissance ; mes premières années s’étaient écoulées auprès d’une mère si tendre ; jamais elle ne s’était séparée de moi ; elle m’avait nourri de son lait ; ses mains avaient guidé mes premiers pas, ses caresses avaient éveillé mes premiers sentiments ; elle partageait mes jeux et veillait encore sur mon sommeil. Oh ! qu’il est faible et inattentif l’amour maternel des Européennes ! cet amour qui cède à tant de distractions, qui se sacrifie à des devoirs factices ! Ma mère ne vivait que pour son fils, et moi je n’aurais pu vivre sans elle.

» Sa mort, sa mort affreuse m’eût sans doute été fatale, si les secours de l’art, la force d’une constitution que d’absurdes précautions n’avaient point débilitée, et surtout la fatalité qui me poursuit, ne m’avaient condamné à vivre. Je vécus, mais incon-