Page:Moke - Le Gueux de Mer ou La Belgique sous le Duc d'Albe, sd.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un joug abhorré et succombant sous le poids de leurs chaînes ; ils craignaient même de laisser percer leur douleur, dont on leur eût fait un crime.

Plus de la moitié des boutiques étaient fermées ; on avait dégarni le reste de tout ce qui aurait pu éveiller la cupidité des Espagnols en révélant l’aisance des propriétaires. Les maisons, mal entretenues, avaient pris cette teinte noirâtre que leur donne si vite un climat septentrional ; plusieurs semblaient près de tomber en ruines, les oiseaux de proie y trouvaient un asile ; la mousse couvrait murailles, et l’herbe des champs croissait dans rues abandonnées.

Des postes de soldats, distribués sur tous les points, veillaient au maintien de l’esclavage. Des fantassins espagnols et italiens formaient de nombreuses patrouilles qui parcouraient continuellement la ville, la pique haute et la mèche allumée ; des cavaliers allemands ou albanais traversaient les rues au galop, renversant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Quelquefois aussi on rencontrait des détachements de ces vieilles bandes flamandes, dont la valeur avait décidé les victoires de Gravelines et de Saint-Quentin : ces braves soldats, mécontents du service auquel on les condamnait, se rendaient lentement à leurs postes, la tête baissée, l’œil morne et le cœur serré, et souvent leurs mains se portaient à la poignée de leurs sabres, lorsqu’ils voyaient de féroces étrangers maltraiter leurs malheureux compatriotes.