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gretter tes chères études au clair des lampes, la table où tu rêvais accoudé sur le livre, les poignets enroulés par les lentes spirales de la cigarette. Alors, il te semblait que l’univers, et j’emploie ce mot exprès, car il est vague et romantique comme tes projets d’alors, te sollicitait par tous les cris nocturnes ; un sifflet te déchirait les oreilles et le cœur, une sirène enflait ton impatience jusqu’aux larmes et la Compagnie des transatlantiques, vraiment la ville te chassait.

Maintenant, sur le pont qui oscille et plonge dans la mouvante émeraude, les yeux las de la fuite du ciel et de n’y pas connaître assez d’étoiles, les mains froides sous le plaid de chez toi, tu t’abandonnes au sommeil, tenant serré entre tes bras l’ombre du voyage.

Hélas, le voyage ne nous libère jamais.

La vie a d’autres évasions, les rêves et les drogues. Voici le premier pas de fait vers la mort, la première concession à l’ennui.

Ainsi, mauvais voyageur, après avoir été mauvais promeneur et mauvais amuseur, n’avoir trouvé qu’une romanesque exaltation dans la nature, des sanglots dans les orchestres des endroits où l’on rit très haut, et une déception jamais consolée dans chaque nouvelle gare, tu reviens sur tes pas et interroges les plus basses ressources de l’ennui. C’est le domaine épais des lianes et des eaux souterraines, les odeurs qui décomposent, les plantes qui dévorent, la fontaine qui empoisonne, le bien-être dans le complet malheur, le renoncement dans la béatitude.

Il y a aussi l’amour.

Je voulais épuiser les dangers précédents pour parler de l’amour, le seul qui vaille l’homme.

Il y a aussi l’amour.

Il y a d’abord l’amour ; et c’est par désespoir d’amour que l’on s’exile dans la campagne, que