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— « Vous reverrai-je, cet hiver ?

Comme il aurait voulu répondre : « Je vais en Chine ». Il dit :

— « Je ne crois pas.

— « Alors, adieu. Je suis pressée, excusez-moi, on m’attend là-haut.

Il revit le petit salon, son domaine. Il frémit :

— « Moi non plus je n’ai pas le temps. Adieu, Germaine. »

Mais un geste qu’elle fit attira son attention sur la main nue, il revit les bagues et un détail qui l’agaça, l’ongle du pouce rongé.

— « Pourquoi abîmez-vous vos mains, dit-il d’une voix subitement habituelle. C’est très laid.

Elle rit, ayant senti son changement et répondit d’une voix plus dure : « Je n’en sais rien, tout change. Adieu ». Mais, le mouvement de sa démarche dégagea soudain le parfum, son parfum trop connu qui emplit, sembla-t-il à Daniel, tout l’air respirable, l’air de sa vie contenu dans la rue sans soleil où déjà Germaine n’était plus, et il eut mal, un recommencement de peine.

C’était comme une autre, très lointaine, très étouffée qui lui aurait fait signe à travers l’imposteuse, une autre, celle qui avait été son amie et avec laquelle depuis il vivait, ne venait-il pas réellement de la perdre ce soir, puisque, cette Germaine soudaine et vieillie ne lui évoquait plus rien d’elle-même, son parfum seul.

Il reprit, comme s’il venait de chez elle, le chemin du printemps. Qu’il fait froid déjà et noir, le vent balaye les feuilles de ces mêmes jardins, où autrefois les roses.

Autrefois, y a-t-il cent ans ou quelques secondes, il ne sait guère.

Mais jamais cette femme brutale et vulgaire n’a pu être cette maîtresse adorée dont il rêve encore. Elle lui reprend donc jusqu’au rêve.